Le Conseil de la concurrence a condamné le Syndicat des eaux d'Ile-de-France, présidé par le maire UDF d'Issy-les-Moulineaux, à 100 000 euros d'amende pour entrave à la concurrence.
André Santini, député-maire UDF d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), n'est pas seulement l'amuseur en chef de la République, chéri des médias pour ses bons mots et réflexions vipérines. Côté jardin, il préside depuis une vingtaine d'années le Sedif (Syndicat des eaux d'Ile-de-France), structure intercommunale qui regroupe 144 municipalités de banlieue parisienne, quatre millions d'habitants, partenaire historique de la Générale des eaux (rebaptisée Vivendi, puis Veolia), à qui le Sedif délègue ses canalisations depuis 1923. Un concubinage privé-public, incestueux selon ses détracteurs, pratiquement sans faille jusqu'au 3 novembre : le Conseil de la concurrence vient juste de condamner le Sedif à une amende de 100 000 euros pour entrave à la concurrence.
Plume. L'affaire se déroule en 1998 aux halles de Rungis, l'un des principaux consommateurs d'eau en France (1,3 million de m3 par an). Fidèle client jusque-là du Sedif, et donc de la Générale des eaux, la Semmaris (société d'économie mixte détenue par l'Etat et la Ville de Paris, en charge de Rungis) tente de faire jouer la concurrence une première en s'adressant à la Sagep (Société anonyme de gestion des eaux de Paris, qui, elle-même, sous-traite à la Générale et à la Lyonnaise des eaux), en charge de la distribution d'eau dans la capitale. Ayant eu vent de cette tentative, le Sedif propose illico un rabais de 18 % (à 4,17 francs le m3). Mais la Sagep, disposant de ressources non utilisées par les usagers parisiens, est encore moins-disant de 22,5 % (3,23 francs le m3).
Santini prend alors sa plus belle plume, en tant que président du Sedif, pour reprocher à Jean Tiberi, alors maire de Paris et donc tuteur de la Sagep, sa "position inutilement agressive" : "Le bruit court que la Sagep essaie de débaucher une entreprise relevant de la compétence du Sedif." Pas touche à mon territoire. En parallèle, le Sedif envisage des "moyens de rétorsion", comme de ne plus passer par le laboratoire de contrôle sanitaire de la ville de Paris, le Crecep, privant ainsi la capitale de dix millions de francs par an. Tiberi se confond aussitôt en excuses : "J'ai été particulièrement sensible à vos remarques. Je souhaite qu'il ne subsiste aucun malentendu avec le Sedif." Bref, la Sagep renonce à fournir Rungis à bas prix, malgré la mise en garde d'un haut fonctionnaire de la mairie de Paris : "Des critiques pourraient être portées contre un choix qui nuit à la concurrence et qui prive la Sagep de nouvelles recettes et, par conséquent, pèse sur le prix de l'eau des Parisiens." En fait, Santini et Tiberi sont surtout d'accord pour ne pas se mettre à dos les marchands de flotte, Générale et Lyonnaise des eaux en tête, hérissés par la simple idée de concurrence.
C'est précisément ce qu'a sanctionné le Conseil de la concurrence, en stigmatisant cette "anomalie économique" : "Le producteur d'eau chère a exercé des pressions visant à empêcher un demandeur d'obtenir de l'eau à meilleur marché. Malgré son caractère ponctuel et local, la pratique est grave."
Interrogé par Libération, André Santini s'en défend : "Je n'ai pas mis le pistolet sur la tempe du maire de Paris." La verte Anne Le Strat, actuelle présidente de la Sagep, dénonce des "pratiques dignes de Républiques bananières qui aboutissent toujours à léser le citoyen, qu'il soit consommateur ou contribuable". Elle admet toutefois quelques "blocages" persistant sous la municipalité de Bertrand Delanoë, ayant dû "batailler fortement" pour que la société parisienne Sagep puisse à l'avenir fournir directement de l'eau aux communes franciliennes en squeezant les marchands d'eau.Marge insolente. Adepte du contre-pied, André Santini se pose en "dernier rempart contre l'ultralibéralisme : chez nous, le mot concurrence n'existe pas, mais le conseil du même nom est en train de marchandiser l'eau". Il promet toutefois un large appel d'offres lors du renouvellement du contrat historique passé avec la Générale des eaux en 2007 : "Ça va être l'événement du siècle." A l'initiative de Patrick Braouezec, élu communiste de Seine-Saint-Denis, des maires de gauche pétitionnent déjà pour le retour en régie municipale, en vue de mettre fin aux largesses concédées par le Sedif à son délégataire privé. Face aux critiques récurrentes de la Cour des comptes, André Santini s'est résolu peu à peu à rogner les profits de la Générale des eaux, qui affichait un insolent taux de marge de 19 %.
Sa récente posture altermondialiste fait parfois sourire. Dernièrement élu à la présidence de l'agence de bassin Seine-Normandie cet organisme public rassemble élus, consommateurs et industriels , Santini sera fort bien entouré d'un vice-président issu de la Générale et d'un représentant des consommateurs (sic) issu de la Lyonnaise... Pour Séverine Tessier, de l'association Anticor (fondée par l'ancien juge Eric Halphen), "la représentativité au sein des agences de l'eau est complètement dévoyée". Et, selon Anne Le Strat, la nomination d'un homme de la Lyonnaise au nom des usagers, même si la Lyonnaise est un authentique consommateur d'eau, relève d'une "caricature" : "Au moins c'est clair, ils phagocytent ouvertement les lieux de décision." Santini se contente de rétorquer que les écolos "n'ont aucun impact, car ils sont incompétents".